avec Gaston Kaboré
Le
cinéma africain n’est pas à un paradoxe près !
Alors que de nombreux opérateurs ne cessent de
s’inquiéter de sa fragilité et à cause de son
hypothétique survie, il ne cesse
de susciter l’intérêt du monde universitaire. Un peu partout dans le monde des
unités de recherches lui sont consacrées, des cycles de projection lui font
honneur et des publications aussi importantes que diverses viennent montrer
combien cette filmographie, très modeste en quantité et surtout très inégale en valeur, a été un
des témoins les plus importants de la vivacité de l’imaginaire africain et du foisonnement intellectuel et social d’un
continent.En s’inscrivant au sein de ce paradoxe, le septième
art africain ne fait que rejoindre, peut-être, le destin de l’art du continent
noir. Boudé par le grand public et oublié lors des grandes occasions , il ne
s’en trouve pas moins adulé par les élites, la critique universitaire et les
grands artistes qui lui vouent une admiration, souvent doublée d’une
fascination, sans égales.Jonathan Jones, critique au Guardian, appelait, dans
un article qu’il a intitulé « un peu d’Afrique dans l’art, SVP », à
réévaluer le regard de certains milieux artistiques occidentaux vis-à-vis de la création africaine dans le sens de plus d’ouverture qui irait
contre les idées toutes faites. « Créer du grand art, ne force pas
nécessairement l’admiration de vos contemporains » écrivait-il. Surtout si
l’on est l’objet de préjugés accumulés au cours de décennies d’ignorance et de refus d’entendre la différence en
dehors des « orientalismes » rassurants et réducteurs…Les ouvrages et les numéros spéciaux des revues
consacrées au cinéma africain établissent tous une géographie sinistrée. Les
cinématographies du continent sont en perte totale de vitesse, si l’on s’en
tient à une définition du cinéma comme dispositif qui compte la coprésence des
spectateurs dans une salle comme un élément déterminant.Les termes du triste constat sont valables, à une ou
deux exceptions près, pour tous les pays de l’Afrique subsaharienne. Il
n’existe presque plus de salles de cinéma (rares sont les pays dont le parc est
constitué par plus de cinq à dix salles),
les coûts de plus en plus importants engagés dans les productions, les
priorités établies par les Etats et qui déclassent ce média « de
riche » au second plan, le désintérêt des bailleurs de fonds traditionnels
partis prêcher sous d’autres cieux…Serions-nous face à une fatalité ?La rencontre entre le 7ème art et le
continent africain, n’était-elle qu’une aventure vouée, dès le début, à
l’échec ?Elle n’aurait vécu, dans ce sens, que le temps d’un
rêve, l’espace d’une illusion idéologique, ou d’une stratégie régionale qu’on
pensait salvatrice. La Fepaci (Fédération panafricaine des cinéastes) et les
difficultés qu’elle trouve à relancer son action témoignent de l’impasse dans
laquelle se trouve la démarche collective. La Fepaci n’avait cessé, de Tunis
à Niamey en passant par Alger, de porter tant d’espoirs fédérateurs.Voici le paysage planté. Il n’entame pourtant pas
l’envie sinon ce désir de cinéma des professionnels et du public africain.Aujourd’hui, l’intérêt des festivals, des
producteurs et des critiques étrangers se concentre sur trois ou quatre
cinéastes-auteurs. Ces derniers le sont dans le sens qu’ils parviennent à
donner à leurs œuvres un souffle, un rythme et une temporalité propre où
surviennent les tonalités poétiques personnelles. Parmi ces cinéastes on cite
Abderrahmane Sissako dont le dernier film « Bamako » se détache dans
la filmographie africaine par l’originalité dans le traitement de la question
du colonialisme et de la mondialisation. La seconde figure est le tchadien Mahamet
Salah Haroun dont « Abouna » ( 2003), un récit d’apprentissage
douloureux décrit avec tendresse et retenue, constitue l’une des plus grandes
réussites du cinéma africain de ces dernières années.Mais cette nouvelle vague, qui compte aussi le
gabonais Imunga Ivanga, le guinéen Cheikh Fantamady Camara, le sud africain
Zola Maseko et la burkinabé Régina Fanta Nacro ont du mal aujourd’hui à occuper
le terrain de l’audiovisuel se contentant de glaner des succès d’estime dans
les festivals ou auprès d’un public de spécialistes.C’est du côté de la production « légère »
et autonome que se joue l’avenir du film africain. Ce sont la vidéo et le
numérique qui sont en train de réinscrire l’image africaine dans son
territoire. Un nouveau modèle économique est en train de s’imposer bousculant
ou réinventant les modes de production ou de réception.Nollywood, avec sa production avoisinant les 1500
films/an et qui coûtent 10 mille dinars en moyenne, est devenu la troisième
force productrice dans le monde. L’industrie du cinéma nigérian qui commence à
traverser les frontières est une réussite « sociale ». Il crée du lien,
ancre des représentations qui ont fini par concurrencer les imaginaires qui
viennent d’Inde ou des Etats-Unis, et il offre surtout des milliers d’emplois
(on parle de deux cents mille postes)L’audiovisuel au Ghana vit la même expérience avec
cent films vidéo produits par an. La revue Film International a consacré un
numéro spécial à cette industrie. Les articles prouvent l’intérêt de cette
expérience que la technologie numérique peut « esthétiser ». Le public adhère et s’arrache ces vidéos de qualité artistique
improbable mais qui, en s’appuyant sur les codes génériques et en traitant de
thèmes variés, parviennent à intéresser. Lors du dernier colloque des J.C.C, le
critique et universitaire Mbaye Cham avait parlé de ce mouvement d’adhésion et
de distance que les spectateurs installent avec ces films nonobstant leurs
qualités artistiques et narratives « discutables ». Un mouvement qui
établit de « l’appartenance »…Avec les nouvelles possibilités offertes par le
numérique, il semble qu’une issue se dessine devant les images et l’imaginaire
africains…La présence et la
quantité finiront peut- être par sortir cette cinématographie du cercle
intimiste dans lequel elle semble s’enfermer…car il n’y a pas mieux que les
images pour briser les préjugés… Tarek
Ben Chaabane