octobre 2010.

octobre 2010.
Master Class Yousri Nasrallah et Tarek Ben Chaabane

mardi 7 juin 2011

La communication ? Une drôle d’histoire…

                                   
Nous avons beau consacrer le plus clair de nos journées à accomplir des tâches sérieuses,  notre besoin d’histoires,  restera toujours aussi immense et intense.
Avec l’âge beaucoup se détournent des contes où les grands-mères nous rapportaient les aventures périlleuses  de princesses, fées et autres créatures merveilleuses ou fantastiques. Ces narrations formatrices, qui donnaient un sens à la vie et aux mouvements du monde, trouvent aujourd’hui une filiation dans les belles fables initiatiques, dont l’intrépide Harry Potter, apprenti sorcier qui s’assume, est le dernier et non des moindres porte-drapeau ( ou baguette magique, il faut voir !), du moins quand on lorgne du côté du tiroir-caisse…
Mais quand le récit investit l’univers des media, il finit par rattraper même les plus récalcitrants d’entre nous. Le récit s’immisce alors dans des univers où sa seule  citation aurait provoqué, rien que quelques années auparavant, des sourires  forts dédaigneux ou des levers de boucliers intransigeants…
Paru il y a quelque temps l’essai  de Christian Salmon, Storytelling, la machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits (Editions de La découverte) reconduit le soupçon qui pèse sur la médiatisation du monde et sur les excès de la mise en récit.
La démonstration faite par l’auteur ressemble à un petit manuel à l’usage du nouvel entrant dans le domaine de la communication publique. Les sceptiques y trouveront des outils pour débusquer les relents des idéologies qui s’insinuent dans chaque tournure de phrase, dans chaque allitération…
Formes et contenus du cinéma, du théâtre et de la littérature passaient jusque la au crible des lectures et exégèses qui ont institué le soupçon comme moyen d’aborder ces appareils de « distraction massive », avec parfois, il faut le reconnaître, beaucoup de pertinence…
Mais dire aujourd’hui que certains groupes d’influence « gèrent » le système de représentation du cinéma américain, que les grosses multinationales « influent » sur les agendas de la presse, que de nombreux médias dysfonctionnent en temps de conflits, dire cela ne choque ni ne surprend plus personne. Mais d’après Salmon, il y a du nouveau. Car un pas de plus aurait été franchi, dans la création du monde comme fable, qui rend difficile tout retour en arrière…
Nous sommes à une époque où un récit bien construit, qui sait s’adresser aux affects et aux émotions, est la clé de toute entreprise qui veut s’inscrire dans la durée…
L’hypothèse que propose et défend Salmon est la suivante : la sphère publique est passée de l’ère des arguments à celle de l’art de raconter des histoires, du storytelling
Ou comment les media et la communication sont rattrapés par les techniques éprouvées dans le management et les ateliers d’écriture !
Les spins doctors, ces maîtres à formuler des intrigues, ces conseillers en communication qui ont migré petit à petit vers l’espace plus fermé de la politique ont commencé par investir dans les années quatre vingt les départements de communication des grandes sociétés pour les aider à gérer ou à se construire une image.
Robert Mc Kee, scénariste gourou et auteur du fameux Story, un des manuels d’écriture scénaristique les plus lus au monde, anime à ses heures des séminaires de storytelling pour des grands groupes industriels avec l’objectif  suivant : « Motiver les employés  par les émotions ».  Et pour cela il n’y a pas mieux qu’une bonne histoire. Une narration qui inscrit la société dans une geste et une aventure héroïques et qui la définit comme un acteur en prise avec les facéties de l’Histoire (économique ou autre…) et les péripéties de la petite histoire…
Pour ce faire, il faut que les opérateurs apprennent à scénariser, à créer des objectifs, à imaginer des obstacles et des conflits, à chercher le moment épique qui se prête à une mise en intrigue. A partir d’un démarche herméneutique, Paul Ricœur, dans son célèbre temps et récit, définissait cette opération comme une médiation qui permet d’agencer et de réfléchir le temps humain pout y être « chez soi ».
Loin de porter cette profondeur existentielle, le storytelling intervient aussi comme une thérapie de choc quand l’image d’une entreprise ou de l’un de ses produits sont mises à mal. Il s’agit alors de convoquer des spiners pour qu’ils inventent une nice story (jolie histoire) pour redorer le blason de la boîte. Faire le récit des réussites ou inscrire le produit dans une histoire est plus à même de provoquer l’identification que de vanter ses mérites et caractéristiques. En consommant ceci ou cela les clients vont avoir l’impression de s’inscrire dans une aventure dont ils connaissent les mécanismes, et dont ils devinent les tournants et les renversements.  Reconnaître le mécanisme narratif, c’est rendre la fable édifiante, puisqu’elle donne ainsi une cohérence au disparate, puisqu’elle organise une vision du monde, puisqu’elle engage le suspense…
Cette dimension narrative allait entrer dans l’espace public. Plusieurs décideurs américains de premier plan s’entourent  de scénaristes recrutés à Hollywood et de publicitaires.  Ces derniers ont pour mission de donner de l’énergie et du mordant aux décisions…On perpétue  ici une tradition inaugurée par le Président Lyndon Johnson et son conseiller Jack Valenti qui deviendra plus tard le patron de la fameuse Motion Picture Association of America (M.P.A.A.)
Voila donc l’humanité installée,  la mondialisation aidant, dans la période du tout narratif. Le monde appartient, selon Salmon, à celui qui se donne les moyens de raconter, c’est-à-dire à celui  qui parvient à « inventer », à suggérer et à diffuser une histoire. Avec tous les risques que cela suppose. L’excès de fiction pouvant détrôner la quête de vérité…
Ceux qui s’intéressent à l’évolution du monde des médias sauront reconnaître certaines propositions et analyses déjà en cours depuis un moment.
Le journalisme narratif et la mise en récit des événements, que ceux-ci référent à la grande histoire ou aux petites anecdotes du quotidien, s’appuient sur  des techniques assez courantes dans les rédactions, surtout quand il s’agit de reportages et d’enquêtes. Les structures du récit venant souvent à remplacer les  formes classiques d’organisation de la matière informationnelle sans que cela ne tienne d’une instrumentalisation…
Cette forme ayant prouvé par ailleurs son efficacité…
Les grands récits, comme les mythes, ont, par ailleurs, toujours existé ( voir l’importance accordée aux histoires- primordiales ou fabuleuses-dans les cultures abordées par  Mircea Eliade). Ils ont été régulièrement critiqués, surtout dans leur configuration postmoderne ( La notion de simulacre chez Jean Baudrillard, ou les réserves récurrentes quant au « formatage esthétique » de la réalité par les média, sont deux exemples parmi tant d’autres). Mais les récits ont servi, loin de toute intention ou de programmatique idéologiques, à construire des représentations humanistes, à fonder un être ensemble civique,  loin de toute soumission au consumérisme ou à une globalisation enchantée…
Encore plus de récits ?
Volontiers !
D’autant plus qu’on sait qu’une partie de l’histoire se joue toujours dans son actualisation par l’usager à qui il incombera de déchiffrer, comprendre, détourner, construire et grandir…


                                                                                                          






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