octobre 2010.

octobre 2010.
Master Class Yousri Nasrallah et Tarek Ben Chaabane

mercredi 6 avril 2011

Courts métrages tunisiens. Essai d'approche thématique.


De quoi parlent les courts métrages tunisiens produits ces dernières années ? Et qu’est ce qu’ils disent ?
Où se placent-ils par rapport aux longs métrages ?
Est-ce que la vague montante, formée par des cinéastes dont la moyenne d’âge se situe autour de la trentaine, rompt avec la production qui la précède ou est-ce qu’elle creuse les mêmes sillons thématiques abordés par le cinéma des « aînés » ?
Posée ainsi la question a de quoi surprendre. La démarche qui se préoccupe de sonder les sujets traités dans les films semble un peu reléguée. Les virages théoriques et critiques des années soixante se sont érigés principalement contre toute approche du contenu qui ne soit pas fixée à des termes purement esthétiques, à une « essence artistique » éventuelle du septième art. Des auteurs, et des plus sérieux, ont même parlé de « dérive formaliste » tellement on a œuvré à opérer une rupture entre l’art et le sujet. Doit-on pour autant vouer aux gémonies toutes ces discussions passionnées autour d’un sujet de film ? Doit-on « snober » ces polémiques provoquées parce qu’on a apprécié différemment la manière dont un sujet « brulant » a été traité ?
Ce serait faire la sourde oreille à son environnement…
Des pistes pour une lecture…
F. Boughédir a, entre autres approches, classé les films tunisiens de longs métrages (années 60 à 90) en catégories à partir des sujets, des thématiques générales et parfois du style de l’auteur. L’intérêt de cette démarche étant essentiellement de dégager la tendance « thématique » prégnante avant d’essayer de comprendre le pourquoi de cette prégnance. Boughédir proposait un thème transversal : celui de la femme et quatre grandes tendances thématiques : « Cinéma engagé » où les cinéastes prennent position sur l’actualité sociale immédiate, « cinéma culturel » quand les cinéastes œuvrent à mettre en valeur le patrimoine civilisationnel et culturel, « cinéma commercial » quand ce qui prime est d’offrir un divertissement et « cinéma d’expression personnelle », là où la recherche formelle devient, intentionnellement, l’argument principal du film, la motivation du geste créatif.
Il est sûr que ces thématiques se sont identifiées à des lieux, des tournures de dialogue, des époques, des figures de comédiens, qui tournent parfois au cliché. Mais cela ne se fait pas systématiquement comme certains ne cessent de répéter. C’est faire un faux procès aux films tunisiens que de les réduire à une somme de stéréotypes. Les lieux tant décriés ,par exemple( La médina…), sont ,généralement, très bien fonctionnalisés dramatiquement à part le fait qu’il soient porteurs d’une dynamique narrative…
L’important ici, c’est que de nombreux jeunes ou nouveaux cinéastes se sont fait l’écho de cette critique récurrente qui prend parfois des tournures acerbes.
Courts produits autrement…
Un grand nombre de courts métrages sortis ces dernières années a été produits selon des formules qui rompent avec le circuit habituel. Le passage par l’aide du ministère de la culture et de la sauvegarde du patrimoine n’est plus déterminant même si la subvention offre les conditions d’un tournage confortable et une légitimité au film. Le projet peut alors se prévaloir d’avoir été sélectionné par une commission d’experts, formée généralement par des pairs. Faire un film n’est plus tributaire, non plus, du passage par les institutions internationales, essentiellement l’Organisation Intergouvernementale de la Francophonie en ce qui concerne les courts.
L’outil numérique permet une économie d’argent et de personnel aussi bien pendant le tournage que pendant l’étape de la post production et offre donc une grande marge de manœuvre. Un dispositif de projection volant ouvre sur des nouveaux modes de visionnage et une circulation sensiblement plus facile des films.
L’expérience « Dix courts, dix regards », initiée en 2006 par le cinéaste Ibrahim Letaief, a pu créer une dynamique particulière. L’idée qu’un public puisse aller en salle pour voir un programme de courts métrages tenait du pari. Un pari gagné puisqu’un enthousiasme certain a entouré la sortie de la collection. Le passage à Cannes a fait le reste, même s’il a été un peu sorti de son contexte, c'est-à-dire sur-dimensionné,  pour des motifs de propagande politique. Mais c’est la loi du genre…
Cette initiative a inspiré de nombreux opérateurs et beaucoup de nouveaux venus ont tenté l’aventure (parmi lesquels de nombreux représentants des premières promotions des écoles étatiques de cinéma). Nouveaux venus, nouvelle formule pour fabriquer les films mais quoi de nouveau au niveau des thèmes ?
Des courts et des visions…
Sur près d’une cinquantaine de films que nous avons eu l’occasion de voir, la tendance du « cinéma culturel » semble trouver en Mourad Ben Cheikh un digne représentant. Formé en Italie et féru de culture arabe classique, il tourne coup sur coup deux courts dont les scénarios sont adaptés d’auteurs importants : Ali Douagi pour le premier et Al Maari pour le second. Dans « Une saison entre l’enfer et le paradis » (2008), B. Cheikh tente l’équilibre entre la mise en valeur d’un classique de la littérature arabe et universelle ( L’épitre du pardon) et ses préoccupations esthétiques propres, plastiques, serions nous tentés de dire. Son film parle d’abord de culture et pose en filigrane une question importante : comment, sans céder à l’attrait que peut exercer le versant anecdotique d’un épisode narratif, actualiser, tant au niveau formel que thématique (existentiel en l’occurrence), les interrogations qui traversent une ouvre littéraire ancienne et majeure, réputée « intouchable » ?
Ultime remarque concernant ce film : c’est l’une des rares adaptations. Le genre continue à ne pas attirer les cinéastes tunisiens. En plus de quarante ans, seuls quelques films se réfèrent à des œuvres littéraires alors que plus de la moitié des scénarios qui sont à base de la production mondiale de fiction audiovisuelle sont des adaptations.
Malik Amara, formé en France, est un autre nouveau cinéaste dont le film pourrait se rapporter à cette tendance « culturelle ». Le Poisson noyé essaie de déjouer les pièges des stéréotypes et se construit sur le fil ténu qui sépare deux termes extrêmes d’une pratique culturelle : le folklore et l’inscription dans l’universel. Marqué par le cinéma d’Emir Kusturica dont il se réapproprie certains codes : un coloriage baroque, un rythme vivace et le réalisme…magique, Amara aborde, sans pathos, le thème des croyances populaires. Il ancre son film dans le quotidien d’un village tunisien et tente de redonner de l’énergie (celle du style) à des croyances et à des fables qu’on pourrait croire abandonnées aux clichés. Son second court-métrage " Linge sale" brode dans la même direction mais perd le contact avec l'imaginaire collectif. Plus tranché au niveau de l'écriture il perd l'aspect "elliptique" qui introduisait une certaine poètique du temps dans son premier film.
Un cinéma de l’effet.
Il serait exagéré de parler de cinéma commercial à propos des courts métrages, mais on pourrait retenir l’intention de divertir à partir de thèmes très actuels. Les sujets de prédilection de cette tendance sont essentiellement construits autour de la vie affective : le mariage (ses promesses et ses difficultés), la vie de couple, les choix de vie, les difficultés de communication.
Ces sujets sont souvent (et pas toujours) traités sur un mode léger, voire anecdotique et superficiel. Un effet d’écriture est souvent recherché au détriment d’un style et d’un traitement du thème en profondeur, c’est-à-dire d’une manière qui laisse deviner une vision élaborée du cinéaste sur son environnement. La structure de la blague est souvent employée dans ce qu’on appelle des films à chute. Le but étant de surprendre le spectateur, de le dérouter. Les auteurs tombent ainsi dans un exercice de style narratif et non cinématographique !
Quelques réussites pourtant dans le genre : « Obsession » (2009) de Amine Chiboub. Film maitrisé qui s’appuie sur un dilemme psychologique renvoyant métaphoriquement à l’appréhension de l’inconnu et de l’ailleurs…
Le film à chute comme effet de mode ? Ce genre est en train de céder la place à un cinéma plus radical tant au niveau des thèmes que de l’approche formelle.
C’est l’équipe qui tourne autour de la société Exit Productions ( Mahmoud Abdelbar, Alaeddine Slim, Amen Gharbi, Ridha Tlili… ) formés à l’Institut Supérieur des Arts du Multimédia ( ISAMM) qui se rapproche de la tendance « esthétique » . Au risque de l’incommunicabilité, les films produit par cette jeune maison de production, entreprennent dans « Foundou », « Ayan Kan » « le Stade », « la boue » ou " "la citerne" une recherche formelle très intéressante ne serait-ce que parce ils essaient d’établir des propositions visuelles cohérentes, épurées et surtout assumées en s’appuyant sur le seul potentiel expressif de l’audio-vision. Il est donc clair que cette équipe trouve des appuis théoriques chez des critiques radicaux ou universitaires.
Proches de cette tendance "Au commencement" de Sadri Jemail, "A ma place" de Mehdi Barsaoui,l'elliptique "The last song" de Homeida Béhi, "Le dernier wagon" de Sara Abidi ou le sombre "Le dernier Minuit" de Mehdi Hmili.
Le court métrage donne la possibilité de cette liberté formelle puisqu’il est aussi le lieu de l’expérimentation.
D'autres films pourraient sans peine être placés dans cette catégorie : "Le dernier Wagon "de Sara Labidi, ,film cérébral et souvent "distant" qui nous introduit dans l'univers mental d'une femme écrivain , " The last song" de Homeïda. Béhi et "Mouja" de Mohamed Ben Attia deux films sensibles mais où émotion et contemplation sont diluées dans une lenteur "impressionniste"  pour l'un et dans un rythme monocorde pour l'autre, "Au commencement" de Sadri Jmaïl, "l'énigmatique "L'alliance" de A. Bouchnaq ou le sombre "Le dernier minuit' de Mehdi Hmili.
Le cinéma engagé ? L’appellation, comme celle qui concerne le cinéma commercial est à reconsidérer. Mais des courts métrages qui font leur, et ouvertement, les problématiques du moment existent. Si le traitement glisse souvent vers le discours direct et si certains courts se transforment en films-dossiers qui se donnent pour programme d’épuiser un phénomène social, tous les films ne tombent pas dans ce piège. Leur approche est moins directe, plus humaniste que didactique. Nous avions parlé,ailleurs, de la tentative de Kaïs Zaied comme un exemple. Conversations, qui a d’ailleurs beaucoup voyagé dans les festivals, parle de la guerre, de ses dégâts, mais aussi d’un autre engagement celui qui consiste à rester du côté des valeurs « simples », comme l’amitié et l’imaginaire émancipateur...
Trois films produits dans le cadre de la collection "Dix courts, une cause" ( 2010)attirent l'attention par le traitement narratif très personnel d'un même sujet : le don d'organes. ils sont l'oeuvre de deux ressortissants de l'ISAMM : Majdi Lakhdar "Grand coeur...", Monatacer Lassoued , "Le voleur de fruits" et d'un ancien du cinéma amateur :Rafiq Omrani avec " Ali Ould essoltana"qui se rapproche, lui,  de l’esthétique du cinéma populaire à thématique engagé en référence au nouveau cinéma égyptien des années 80-90.
Présenté lors des dernières J.C.C, les films de Chiraz Fradi, "Album"  et Meriem Riveil "Tabou" renouent avec un questionnement sur l'identité féminine face à une société répressive. "Vivre" de Walid Ettaya n'est pas loin de poser cette problématique. Son film vaut par une écriture assez réussie de l'intériorité du personnage principal, mais pêche par des excès lorsqu'il s'agit de souligner des situations absurdes. Deux ans auparavant, Mohamed Ali Nahdi s'était attaqué à la censure dans " Le projet" et Sami Haj aux structures éducatives autoritaires comme métaphore du pouvoir politique dans " Fouska".
Peuvent être rapportés à cette tendance, les films de Chiraz Fradi( "Album"), Mériem Riveil ( "Tabou"), Mohamed Ali Nahdi ( "il était une fois l'aube") ou Walid Tayaa qui renoue,lui, dans " Vivre"( 2010) avec la question de la femme en essayant de l'aborder sans la pesanteur de la démonstration sociologique mais à partir d'une approche qui sonde le tourment affectif. Le film nous vaut de jolis moments de cinéma, surtout concernant l'écriture de la solitude du personnage principal, mais pêche par certaines facilités et excès quand il veut souligner l'asbsurdité de certaines situations...
Plus "politques", les films de Walid Mattar « Condamnations » ( 2010), « Vers le nord » ( 2010) de Youssef Chebbi. Deux films qui traient du désarroi identitaire et économique d'une jeunesse qui sombre dans le piège de l’intégrisme ou de l’émigration clandestine. Ce thème est le sujet d’un documentaire poignant de Leila Chaïbi , « brûlures » ( 2010) qui enquête dans un quartier de la banlieue auprès de jeunes « rescapés »…Toujours dans le thème de l'identité Najoua Slama dans "Tiraillements", confronte ses deux personnages féminins à la question du voile islamique, de l'être et du paraître...
Le niveau intéressant de certains films d’école, laisse présager d’une certaine évolution dans la maîtrise formelle mais il ne faudrait pas que cela se fasse au détriment d’un discours réfléchi, basé sur des propositions esthétiques et éthiques…