octobre 2010.

octobre 2010.
Master Class Yousri Nasrallah et Tarek Ben Chaabane

dimanche 12 avril 2015

Afrique, comment va ton cinéma ?


 
avec Gaston Kaboré

Le cinéma africain n’est pas à un paradoxe près !
Alors que de nombreux opérateurs ne cessent de s’inquiéter de sa fragilité et à cause de son  hypothétique  survie, il ne cesse de susciter l’intérêt du monde universitaire. Un peu partout dans le monde des unités de recherches lui sont consacrées, des cycles de projection lui font honneur et des publications aussi importantes que diverses viennent montrer combien cette filmographie, très modeste en quantité  et surtout très inégale en valeur, a été un des témoins les plus importants de la vivacité de l’imaginaire africain et  du foisonnement intellectuel et social d’un continent.En s’inscrivant au sein de ce paradoxe, le septième art africain ne fait que rejoindre, peut-être, le destin de l’art du continent noir. Boudé par le grand public et oublié lors des grandes occasions , il ne s’en trouve pas moins adulé par les élites, la critique universitaire et les grands artistes qui lui vouent une admiration, souvent doublée d’une fascination, sans égales.Jonathan Jones, critique au Guardian, appelait, dans un article qu’il a intitulé « un peu d’Afrique dans l’art, SVP », à réévaluer le regard de certains milieux artistiques occidentaux  vis-à-vis de la création africaine  dans le sens de plus d’ouverture qui irait contre les idées toutes faites. « Créer du grand art, ne force pas nécessairement l’admiration de vos contemporains » écrivait-il. Surtout si l’on est l’objet de préjugés accumulés au cours de décennies d’ignorance  et de refus d’entendre la différence en dehors des « orientalismes » rassurants et réducteurs…Les ouvrages et les numéros spéciaux des revues consacrées au cinéma africain établissent tous une géographie sinistrée. Les cinématographies du continent sont en perte totale de vitesse, si l’on s’en tient à une définition du cinéma comme dispositif qui compte la coprésence des spectateurs dans une salle comme un élément déterminant.Les termes du triste constat sont valables, à une ou deux exceptions près, pour tous les pays de l’Afrique subsaharienne. Il n’existe presque plus de salles de cinéma (rares sont les pays dont le parc est constitué par plus de cinq à dix salles),  les coûts de plus en plus importants engagés dans les productions, les priorités établies par les Etats et qui déclassent ce média « de riche » au second plan, le désintérêt des bailleurs de fonds traditionnels partis prêcher sous d’autres cieux…Serions-nous face à une fatalité ?La rencontre entre le 7ème art et le continent africain, n’était-elle qu’une aventure vouée, dès le début, à l’échec ?Elle n’aurait vécu, dans ce sens, que le temps d’un rêve, l’espace d’une illusion idéologique, ou d’une stratégie régionale qu’on pensait salvatrice. La Fepaci (Fédération panafricaine des cinéastes) et les difficultés qu’elle trouve à relancer son action témoignent de l’impasse dans laquelle se trouve la démarche collective. La Fepaci n’avait cessé,  de Tunis  à Niamey en passant par Alger, de porter tant d’espoirs fédérateurs.Voici le paysage planté. Il n’entame pourtant pas l’envie sinon ce désir de cinéma des professionnels et du public africain.Aujourd’hui, l’intérêt des festivals, des producteurs et des critiques étrangers se concentre sur trois ou quatre cinéastes-auteurs. Ces derniers le sont dans le sens qu’ils parviennent à donner à leurs œuvres un souffle, un rythme et une temporalité propre où surviennent les tonalités poétiques personnelles. Parmi ces cinéastes on cite Abderrahmane Sissako dont le dernier film « Bamako » se détache dans la filmographie africaine par l’originalité dans le traitement de la question du colonialisme et de la mondialisation. La seconde figure est le tchadien Mahamet Salah Haroun dont « Abouna » ( 2003), un récit d’apprentissage douloureux décrit avec tendresse et retenue, constitue l’une des plus grandes réussites du cinéma africain de ces dernières années.Mais cette nouvelle vague, qui compte aussi le gabonais Imunga Ivanga, le guinéen Cheikh Fantamady Camara, le sud africain Zola Maseko et la burkinabé Régina Fanta Nacro ont du mal aujourd’hui à occuper le terrain de l’audiovisuel se contentant de glaner des succès d’estime dans les festivals ou auprès d’un public de spécialistes.C’est du côté de la production « légère » et autonome que se joue l’avenir du film africain. Ce sont la vidéo et le numérique qui sont en train de réinscrire l’image africaine dans son territoire. Un nouveau modèle économique est en train de s’imposer bousculant ou réinventant les modes de production ou de réception.Nollywood, avec sa production avoisinant les 1500 films/an et qui coûtent 10 mille dinars en moyenne, est devenu la troisième force productrice dans le monde. L’industrie du cinéma nigérian qui commence à traverser les frontières est une réussite « sociale ». Il crée du lien, ancre des représentations qui ont fini par concurrencer les imaginaires qui viennent d’Inde ou des Etats-Unis, et il offre surtout des milliers d’emplois (on parle de deux cents mille postes)L’audiovisuel au Ghana vit la même expérience avec cent films vidéo produits par an. La revue Film International a consacré un numéro spécial à cette industrie. Les articles prouvent l’intérêt de cette expérience que la technologie numérique peut « esthétiser ».  Le public adhère et  s’arrache ces vidéos de qualité artistique improbable mais qui, en s’appuyant sur les codes génériques et en traitant de thèmes variés, parviennent à intéresser. Lors du dernier colloque des J.C.C, le critique et universitaire Mbaye Cham avait parlé de ce mouvement d’adhésion et de distance que les spectateurs installent avec ces films nonobstant leurs qualités artistiques et narratives « discutables ». Un mouvement qui établit de « l’appartenance »…Avec les nouvelles possibilités offertes par le numérique, il semble qu’une issue se dessine devant les images et l’imaginaire africains…La présence et la  quantité finiront peut- être par sortir cette cinématographie du cercle intimiste dans lequel elle semble s’enfermer…car il n’y a pas mieux que les images pour briser les préjugés…                                                                                    Tarek Ben Chaabane